Czeslaw Milosz et la crise de la modernité européenne

Affirmer que l’Union Européenne est « en crise » relève aujourd’hui du lieu commun, presque de l’euphémisme. Le pluriel semblerait même plus adapté, au regard du nombre des « dossiers » qui s’accumulent sur les bureaux des responsables européens ; au sommet de la pile, le Brexit, cache péniblement les titres des classeurs suivants : crise migratoire, crise écologique et sociale, crise de la dette, crise identitaire, crise de confiance envers les institutions, résurgence des populismes d’extrême-droite et de droite extrême à travers tout le continent, etc. A toutes ces crises s’ajoute une méfiance entre les membres de l’Union, exacerbée notamment par l’impératif national de compétitivité. Qui ne perçoit pas, en effet, à travers l’emploi d’un vocabulaire aussi dégradant que celui de « Club Méd’ », l’hostilité d’une Europe du Nord, autoproclamée « sérieuse et responsable », envers ce ramassis de paresseux que seraient les pays d’Europe du Sud ? De la même manière, on pourrait évoquer l’opposition et la tension entre une Europe « centrale » et une Europe « périphérique » et « en retard », cette dernière comprenant notamment une Europe qui, elle, n’a de « centrale » que le nom. Ces exemples pourraient être multipliés presque jusqu’à l’infini, selon le degré de précision du microscope politique utilisé pour scruter les innombrables nœuds de tension qui crispent aujourd’hui le grand corps européen. Mais ces crises sont-elles exclusivement celles de l’Union Européenne, ou bien faut-il voir en elles en partie l’expression contemporaine de tendances plus profondes au sein de l’histoire européenne, dont les folies de la première moitié du XXème siècle auraient constitué la plus récente (et la plus spectaculaire) manifestation ? En ce sens, la « crise de l’Union Européenne » évoquée plus haut ne serait que la dernière manifestation d’une autre crise, européenne elle aussi, mais bien plus ancienne que l’Union elle-même.