Apostolidis, Alexandre
[UCL]
Zanone, Damien
[UCL]
Ce mémoire est né de deux sources. D’un côté, il vise à s’interroger sur le dilemme de la liberté en ce qu’il s’applique au médium littéraire, afin de comprendre la manière dont la censure, son antonyme parfait, peut paradoxalement constituer un moteur à la création littéraire par la fixation de l’interdit. De l’autre, il vise à rationaliser l’impression d’incohérence et de distorsion du sens ressentie à la lecture de La Sorcière de Jules Michelet. Cet essai historique, qui se lit davantage comme on lirait un roman, brille d’un style hermétique qui se veut le miroir de l’obscurantisme qu’il aborde ; démultiplication thématique, hermétique du référent, virtuosité déroutante dans le maniement de la syntaxe et de la ponctuation, incertitude du positionnement de l’auteur, tension justificative provoquant le malaise, omniprésence de l’isotopie du combat entre ombres et lumières… sont tant d’éléments qui enveloppent un propos ostentatoire dans un éther d’ambiguïté. En s’intéressant au contexte de la publication de l’ouvrage, on constate qu’il fut la cible des velléités neutralisatrices des censeurs d’État sous le Second Empire. Bien qu’il ne fût jamais traduit en justice, l’auteur, pour être édité, dut expurger son ouvrage de deux passages jugés blasphématoires. Toutefois, cela ne suffit pas à le prémunir d’une menace de poursuite pour outrage aux mœurs et à la morale. Pour joindre les deux tenants de la réflexion, ce mémoire vise à puiser dans la profondeur sémantique du texte afin de mettre à jour les stratégies d’anticipation et de conjuration préventive de la censure qui y sont mises à l’œuvre. De manière générale, on constate que l’ambiguïté remarquée est essentiellement issue d’une tension constante entre mise en abyme et examen critique de discours sociopolitiques contemporains, d’un côté, et universalisme, de l’autre, afin de placer la critique politique en ce qu’elle touche aux normes implicites et aux universels de l’éthos. Particulièrement dans La Sorcière, Michelet inverse les rapports de domination au sein du monde social en démontrant l’ostracisme total dont est victime la femme médiévale et en parodiant une Justice corrompue et partiale. Néanmoins, il distord son propos en subvertissant les attentes relatives à l’archétype médiéval pour proposer une interrogation sur le renouvellement cyclique des valeurs dominantes, et introduit une méditation sur la relativité du sacré. On peut y trouver une apologie de la transgression, le manifeste du triomphe de la pensée lumineuse sur les carcans idéologiques coagulants et les discours d’autorité assombrissants. Son entreprise explore les anfractuosités de l’évolution du savoir et du pouvoir à rebours des monuments, par le pion de l’échiquier politique. Il relate le destin de la fée devenue démon, prosopopée du progrès par la transgression et de l’indépendance spirituelle, qui ébrèche morceau par morceau le plafond de verre médiéval, et dont la brillance continuera à habiter la société contemporaine.


Bibliographic reference |
Apostolidis, Alexandre. Ambivalences de l'interdit, une stratégie de subversion : anticipation et conjuration préventive de la censure dans La Sorcière de Jules Michelet : considérations sur les mutations de la censure d'État au XIXe siècle. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : Zanone, Damien. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:21158 |