Déjouer la dystopie grâce au monstre : les leçons des Mondes d'Aldébaran de Leo

Pierre Fresnault-Desruelles qualifie la bande dessinée de « […] monde où l’on peut rêver et décliner […] ses désirs et ses phobies ». En ce sens, une dichotomie s’opère dans le champ bédéesque, qui confronte les monstres aux héros, les rêves aux cauchemars, les utopies et les dystopies. Les monstres, omniprésents dans la bande dessinée, ont notamment trouvé dans le genre science-fictionnel le lieu où s’épanouir sous toutes leurs formes. Présentant tantôt des sociétés incarnant un idéal à atteindre – une utopie pour laquelle se battre –, tantôt le pire qui puisse advenir pour l’humanité – des dystopies ayant laissé place libre aux monstres physiques ou moraux –, ce type de bande dessinée a produit une multitude d’œuvres mettant en présence monstres, utopie et dystopie. L’objectif premier de ce mémoire a, en ce sens, été celui d’analyser la confrontation entre les différentes formes de monstres face aux utopies littéraires et à teneur politique présentes dans Les Mondes d’Aldébaran de Leo. Nos recherches se sont portées sur le développement corrélationnel des trois notions de dystopie, monstre et utopie, avec pour objectif de démontrer de quelle manière les Mondes d’Aldébaran, redéployant ces trois notions, permet de mettre au jour une nouvelle vision de celles-ci, faisant du monstre un être nécessairement transgressif qui s’oppose aux formes dystopiques qui se développent. Il s’agira d’analyser la manière dont les monstres, nés au cœur de mondes cauchemardesques, incarnent néanmoins une utopie en construction et finalement redéfinie. Notre étude se développe en trois temps. La première partie a pour objectif de dresser un cadre théorique permettant de définir les enjeux impliqués par les notions de monstre, d’utopie et de dystopie, en regard les unes des autres. Elle dresse ensuite un état des lieux non exhaustif du déploiement de ces trois notions dans le champ de la bande dessinée de science-fiction francophone de 1945 aux années 2000. Dans la seconde partie se déploie une analyse sémiologique visant à dégager les spécificités formelles originales des Mondes d’Aldébaran quant au développement des figures monstrueuses et des traits dystopiques et utopiques. La troisième partie de ce mémoire porte finalement sur une analyse comparative avec les trois productions que sont Le Cycle de Cyann, Shangri-La et Retour sur Belzagor. Dans ce dernier point, l’analyse du développement des trois notions d’utopie, de dystopie et de monstre permet d’établir le contraste qui s’opère entre la position particulière adoptée dans les Mondes d’Aldébaran au regard de celles proposées dans les trois autres productions, qui mettent en avant des visions relativement traditionnelles des notions clés de ce mémoire.