À l'épreuve du temps : la complexité temporelle dans La Déchirure d'Henry Bauchau

Henry Bauchau est principalement connu du grand public pour ses réécritures mythiques. Si beaucoup de lecteurs connaissent ce pan tardif de l’œuvre de l’écrivain belge, peu connaissent ses œuvres à caractère autobiographique. Pourtant, ce sont elles qui initient son parcours littéraire. Plus précisément, le roman La Déchirure, paru en 1966, lance sa carrière romanesque. C’est sur ce pan d’œuvre plus discret, plus méconnu, et tout particulièrement sur le roman à l’origine de son développement romanesque, que notre curiosité s’est portée. Ce qui nous a d’abord intrigué, à la lecture de La Déchirure, c’est la poésie narrative de l’auteur, à la fois « métaphorique, hermétique », son goût pour la déconstruction syntaxique comparable à la poésie apollinairienne et son style narratif surprenant, qui nous conduit sans prévenir dans les méandres des pensées du narrateur, passant étonnamment d’une idée à une autre. Ainsi, le lecteur est emmené au gré des voyages du narrateur dans le temps, bercé par les mots du poète : alors qu’il se trouvait deux pages plus tôt au chevet de sa mère mourante, il est projeté soudainement dans ses souvenirs d’enfance et, quelques lignes plus loin, se retrouve en discussion avec sa psychanalyste, sans que le lecteur ait pu comprendre les mécanismes narratifs actionnés pour effectuer de tels bonds temporels. C’est ainsi qu’est apparue l’importance d’analyser la temporalité complexe de La Déchirure, les engrenages narratifs dissimulés qu’elle impliquait. Grâce aux travaux de Ricœur, nous connaissions les rapports privilégiés qu’entretiennent temps et récit, car « le récit [est] le gardien du temps, dans la mesure où il ne serait de temps pensé que raconté ». De nombreuses questions se posent dès que l’on observe le travail de la temporalité dans ce premier roman d’Henry Bauchau, soit « ce que l’intrigue ajoute au temps » et inversement. Quels sont les mécanismes temporels mis en place par la narration ? Quels sont les enjeux temporels du texte ? Comment passé, présent et futur s’articulent-ils ? Comment comprendre l’enchevêtrement des temps ? En quoi la temporalité est-elle un agent structurant de l’intrigue ?